La crise qui secoue le football béninois fait sortir tout le monde de son mutisme. C’est le cas du juriste et ancien Ministre de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme, Victor Prudent Topanou. Il se prononce au sujet de la récente décision issue du conseil des ministres qui rétabli Anjorin Moucharafou. Pour l’homme de droit averti, il y a bel et bien une ingérence du pouvoir dans le système judiciaire ainsi que dans le fonctionnement de la Fbf. Dans le même temps, il recommande à Victorien Attolou de ne pas respecter cette décision du conseil des ministres. Lire plutôt l’interview !
Il y a une crise au sein de la Fbf, la justice tranche l’affaire et le gouvernement sursoit à l’application de cette décision. Selon vous, y a-t-il ingérence ?
Oui. Dans ce cas, il y a bien une ingérence de l’exécutif dans le judicaire.
Pourquoi le dites-vous, Mr le Ministre ?
Non, il est évident qu’il y a une décision de la cours d’appel que tous les acteurs ont respectée. Notamment le Président Moucharafou Anjorin, même s’il a utilisé une voie inhabituelle. Il a tout de même passé service par voie d’huissier. Cela veut dire qu’il a accepté de respecter cette décision, et que les nouveaux bénéficiaires de cette décision aient également pris fonction. Ce qui veut dire que tous les acteurs en jeu ont reconnu la validité de la décision de notre justice. Maintenant, il n’y a absolument pas de raison que les autorités politiques en voulant s’ingérer dans cette affaire, ne demandent ni plus, ni moins que cette décision soit appliquée. J’avais entendu de façon complètement surréaliste dire à un certain moment qu’on n’a pas touché à la décision. On a juste demandé à ce que l’on attende jusqu’à la décision de la Cour Suprême. Ce qui est franchement, prendre les Béninois pour des stupides. Le gros paradoxe est que pendant son point de presse pour expliquer la décision du gouvernement, le Ministre de la Jeunesse des Sports et des Loisirs a surtout évoqué les accords internationaux. Comme pour dire finalement qu’il y avait un accord international entre l’Etat Béninois et la Fifa : ce qui me fait vraiment rire. C’est à croire qu’au Bénin, nous n’avons plus des hommes de droit. C’est grave. C’est à croire qu’autour du Président de la République, il n’y a personne qui sache lire le droit. Pourtant au conseil des ministres, il y a un Ministre de la Communication qui est lui-même avocat de métier, un Ministre de la Justice qui est elle-même avocate de profession, un Ministre Chargé des Relations avec les Institutions qui est aussi elle-même avocate, sans compter tout ceux qui ont du faire du droit ne serais-ce jusqu’au niveau de la maîtrise. Ils ont donc été tous collectivement incapable d’éclairer le Président de la République sur l’aspect que cet accord international ne saurait impliquer la responsabilité de l’Etat. Là, c’est un engagement entre une ONG de droit Suisse qu’on appelle la Fifa et une Fédération Béninoise, elle-même de droit 1901 et qu’à partir de ce moment là, on ne peut pas parler d’accord internationaux. Un accord international ne lie pas deux ONG. Je n’ai jamais compris qu’autour du Chef de l’Etat, personne n’est attiré son attention sur ça. Ceci dit, lors de sa sortie médiatique le 1er Août dernier, le Président de la République n’a pas évoqué cet argument du Ministre. Il a plutôt évoqué l’argument selon lequel la justice béninoise n’avait rien à voir dans cette affaire. Là aussi, je ne suis pas d’accord avec lui. Et cela constitue un désaveu cinglant pour son Ministre des Sports pour n’avoir repris à son compte son argument. Et même cet argument que le Président de la République a pris à son compte, il est fallacieux. Le Président de la République doit pouvoir savoir que dans les statuts qu’il a cité, c’est le Tribunal Arbitral du Sport (Tas) basé en Suisse connaît des problèmes entre fédérations, il est également vrai que les mêmes statuts prévoient que c’est un Tribunal Arbitral Sportif sur le plan national qui doit pouvoir connaître les problèmes internes aux fédérations. Sans oublier qu’il est aussi dit qu’en l’absence du Tribunal Arbitral Sportif, c’est la justice du pays qui se charge du règlement des problèmes. Je pense bien que ce sont les articles 63 et 64 qui le stipulent. A partir de ce moment là, dès l’instant où chez nous au Bénin, la Fédération que présidait Anjorin Moucharafou n’avait rien fait pour installer le Tribunal Arbitral de Football, il est évident qu’au terme des dispositions que c’est la justice Béninoise qui connaît de ce problème. Mieux, il ne faut pas oublier que c’est le Président Anjorin lui-même qui a saisi la justice alors qu’il était dépositaire de ces statuts. De tout ce qui précède, on ne peut pas me dire qu’on ne sait pas ce que la justice Béninoise vient chercher là. Elle est là parce qu’elle est compétente, parce que les statuts de la Fédération l’autorisent. Donc, au lieu de demander à Anjorin d’installer rapidement le Tribunal Arbitral du Football et éviter ainsi d’aller devant la justice de son pays, on préfère plutôt suspendre la décision de justice. A partir du moment où tous les arguments évoqués par le Chef de l’Etat et par le Ministre des Sports sont irrecevables, il s’agit belle et bien d’une ingérence de l’exécutif dans le judiciaire de notre pays et ceci mérite d’être dénoncé avec la dernière rigueur.
Donc selon vous, il y a sans aucun doute ingérence ?
Oui, bien sur. Je le dis parce que les statuts de la Fédérations le prévoient et en plus ; c’est le Président de la Fédération Anjorin Moucharafou qui a lui-même saisit la justice. A partir de ce moment là, je ne vois pas comment la justice allait se déclarer incompétente.
Que faut-il faire alors Mr le Ministre ?
Il faut respecter la décision de justice. Quelle est cette sanction de la Fifa dont on a autant peur ? Que la Fifa nous sanctionne alors, si on respecte la décision de justice. On ne sera pas le 1er pays sanctionné. La sanction de la Fifa n’interdit pas à l’Etat Béninois d’acheter des ballons pour faire jouer les jeunes.
Mr Victorien Attolou se réclame toujours Président de la Fédération Béninoise de Football malgré la décision du conseil des ministres. Qu’en dites-vous ?
A sa place, je ferais la même chose. Je ne respecterai pas la décision du conseil des ministres, simplement parce que la Fédération Béninoise de Football n’est pas géré pas le conseil des ministres. Je dis bien que la Fbf ne dépend pas de l’Etat béninois. Donc, je suis désolé. Mieux, moi à la place du Président Attolou, j’aurais saisi la cour constitutionnelle. Parce que cette décision du conseil des ministres est une violation de la constitution. La cours est donc susceptible de la casser.
Lors de sa conférence de presse le vendredi dernier, le PDG Ajavon a déclaré que la Fbf n’appartient pas à l’Etat Béninois. Vous êtes d’avis ?
Mr Sébastien Ajavon a raison. Il en a toujours été ainsi. C’est pour cela que la Fifa ne reçoit pas commande des Etats, mais plutôt des fédérations. Ce qui lui permet d’ailleurs d’exiger que l’Etat ne puisse pas intervenir le fonctionnement de ses associations membres. C’est une logique. Ou on est dans cette logique et on respecte jusqu’au bout, ou on ne l’est pas et on ne respecte pas. La grosse insuffisance de la Fbf, c’est justement de n’avoir pas mis en place le Tribunal Arbitral du football. Mais, si par extraordinaire ce Tribunal Arbitral du football n’est pas installé et la nature ayant horreur du vide, ce vide juridique doit être comblé par la justice du pays. Après tout, on évolue dans un pays de droit. C’est le gouvernement qui fait selon moi une double ingérence. Non seulement dans le fonctionnement du système judicaire, mais en plus dans le fonctionnement de la Fbf qui n’a pas demandée cela.
Votre conclusion
Il faut que les statuts de la Fbf et la décision de justice soient respectés. Si moi, j’étais proche du Président de la république, je lui aurais simplement demandé de retirer l’agrément à la Fédération Béninoise de Football le temps que tous les problèmes soient résolus.
Une transcription fait par ARK