On qualifie souvent un joueur d’ »atypique » à partir du moment où il s’exprime plutôt bien, avoue lire quelques livres de temps en temps, et s’autorise à donner son avis sur autre chose que le ballon rond. Qualifions donc Emmanuel Imorou d’atypique. Mais ajoutons quand même que le défenseur du Stade Malherbe est un peu plus que cela. Titulaire d’un bac scientifique, musicien, cultivé, ouvert, capable de parler et de « tweeter » sans faute de grammaire ni d’orthographe, et de faire preuve d’autodérision dans toutes les situations, autant dire qu’il est un footballeur à part, et le client idéal pour une interview intéressante.Ça tombe bien, FIFA.com est allé à sa rencontre pour évoquer son parcours, la saison du Stade Malherbe, la sélection du Bénin avec laquelle il s’apprête à disputer les qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA, Russie 2018™, et son autre équipe de cœur : le FC Twitter…
Emmanuel, il y a un peu plus d’un mois, vous avez inscrit le premier but de votre carrière en Ligue 1. Il restera donc une trace de vous dans les livres d’histoire du football français…
Si les gens se souviendront de moi, je ne pense pas. Mais moi, je m’en souviendrai, c’est sûr ! Je marque très rarement. Le dernier but, c’était il y a deux ans. Le fait de marquer rarement, ça apporte quelque chose de particulier à l’événement. Même si ce n’est pas mon rôle premier de marquer des buts, c’est quand même un événement qui fait énormément plaisir. Et j’avais à cœur de marquer au moins un but en Ligue 1 dans ma carrière. Maintenant, c’est fait.
Cet événement arrive dans une période où Caen joue les premiers rôles en Ligue 1. Caen est-il à sa place en haut du classement, ou vous frottez-vous les yeux pour y croire ?
Les deux. On reste sur notre dynamique de notre fin de saison dernière. En 2015, nous sommes la cinquième équipe de Ligue 1. C’est quand même que ça dure depuis plusieurs mois. Nous n’avons pas des joueurs de grand talent, donc on est obligé de compenser par beaucoup d’envie, de générosité, de solidarité. Et quand on est comme ça, on arrive à avoir de très bons résultats. L’année dernière, nous avons réalisé quelques exploits. On a battu Lyon 3:0, on a battu Marseille là-bas en étant menés 2:0. On est capable de ce genre de choses, parce qu’on a du cœur et quand même de très bons joueurs. Mais on est conscient que sur la durée, ce sera très dur de se maintenir à ce niveau-là. On ne vise pas la lune, notre objectif ne change pas, c’est de rester en Ligue 1 la saison prochaine. On sait que dans l’année, il y aura des périodes qui vont être très compliquées et c’est là qu’on verra si on est vraiment une équipe solidaire et capable de faire face aux difficultés.
Vous avez été formé comme ailier. Cela vous aide-t-il dans les phases offensives et dans votre capacité à multiplier les courses dans les deux sens ?
Oui, beaucoup. Jusqu’à 19 ans, j’étais attaquant ou milieu gauche, donc en ayant passé toute ma jeunesse à jouer à des postes offensifs, aujourd’hui, je suis toujours un peu attiré vers l’avant. J’aime toucher le ballon, être dans les zones offensives. La chose qui change, c’est qu’aujourd’hui, je suis défenseur avant tout. Mon rôle premier est d’aider l’équipe à ne pas prendre de but, ou en tout cas à en prendre le moins possible, et ça, même si au début j’avais peut-être un peu de mal à l’intégrer, je l’accepte totalement. Et j’arrive à prendre du plaisir à défendre et je sais que je peux prendre du plaisir offensif uniquement si j’arrive à être bon défensivement. Aujourd’hui, je pense avoir réussi à trouver le juste milieu entre la défense et l’attaque. Ça m’arrive de faire des matches où je n’attaque quasiment pas, mais où je termine en étant vraiment content.
Depuis 2009, vous jouez pour le Bénin, le pays de votre père. Y étiez-vous déjà allé avant d’accepter la sélection ?
Non, jamais, et d’ailleurs, je n’ai toujours pas d’attache particulière là-bas. C’est aussi pour ça que j’ai bien pris mon temps avant d’accepter. Ils m’ont contacté lorsque je n’étais même pas encore professionnel. Je ne me sentais pas prêt à aller dans un pays que je ne connaissais pas, à découvrir un autre football, d’autres exigences. Je ne savais pas si j’étais légitime dans cette sélection. Une fois que je me suis senti prêt, quand j’étais à Gueugnon, titulaire et bien installé, je me sentais armé pour franchir ce cap. Et je ne regrette pas d’avoir attendu, parce qu’une sélection, surtout africaine, c’est un contexte particulier, très exigeant. Il y a toujours des difficultés qu’on ne rencontre pas en Europe, donc il faut être solide et mûr dans sa tête pour répondre à ça.
Avant ce premier voyage, étiez-vous curieux de connaitre le Bénin, ou était-ce un pays comme un autre sur la carte d’Afrique ?
Ah non, ça n’était pas un pays comme un autre ! C’était évidemment un pays particulier par rapport à mon père. Je n’y étais jamais allé, et je savais en commençant une carrière dans le foot que ce serait compliqué d’y aller. Mais c’est sûr que même si je n’avais pas été international, j’avais de toute façon prévu d’y aller, mais plutôt vers la fin de ma carrière, quand j’aurais eu plus de temps pour bien découvrir le pays et mes racines, tout simplement. Mais ça s’est fait comme ça, aujourd’hui je connais le Bénin, et je suis très fier d’en porter les couleurs.
Vous souvenez-vous précisément de votre premier voyage en Afrique ?
C’était ma convocation pour la Coupe d’Afrique 2010 en Angola. J’y suis allé fin décembre, donc pas de Noël, pas de nouvel an en famille, et je découvrais un nouveau continent et un nouveau pays que je ne connaissais pas du tout. J’arrive à l’aéroport à Cotonou, il fait très chaud et très lourd. On m’amène à l’hôtel, et sur la route, je suis complètement dépaysé et je commence à prendre la mesure de ce qu’est le pays. La route déjà, ce n’est pas une route pour le coup, c’est une piste pas goudronnée ! Je découvre une population quand même assez pauvre. Au début c’était compliqué. J’étais déraciné, tout simplement. Il m’a fallu un petit temps d’adaptation pour découvrir tout ça et l’appréhender au mieux. Aujourd’hui, je comprends le pays, et je sais ce qu’on représente pour les gens là-bas. Les joueurs de foot sont comme des idoles. Maintenant, quand j’y vais, j’essaie à mon niveau d’aider les gens en apportant des maillots parce que je sais que ça leur fait plaisir, de leur apporter une petite aide financière quand c’est possible. Il y a quand même beaucoup de gens qui vivent dans la pauvreté, et c’est dur à voir et à accepter. Quand je vais au stade, et que je le vois rempli de tous ces gens qui n’ont pas grand-chose et qui se raccrochent au football, c’est quelque chose de fort et de prenant sentimentalement. Ce sont des sensations uniques et très fortes.
Comment sont considérés les internationaux qui ne sont pas nés sur place. Êtes-vous considéré comme un Béninois à part entière ?
Moi, comme les autres expatriés, nous allons toujours être « les Européens ». Mais on est énormément reconnus, parce que nous sommes ceux qui ont réussi à percer dans le football européen. Pour cela, nous sommes considérés comme les fers de lance de l’équipe. On nous regarde avec des yeux grands comme ça. Même dans l’équipe, il y a des joueurs qui jouent encore au Bénin ou en Afrique noire, qui ne sont pas professionnels et qui rêvent d’être à notre place. Pour eux, nous sommes des exemples à suivre et ça nous donne une certaine responsabilité. Bien sûr, ceux qui comme moi, Jordan Adéoti ou Rudy Gestede sommes métis, on est quand même considérés comme des « Français ». Mais ce n’est pas du tout péjoratif ni agressif. Je n’ai pas de problème avec ça, je suis métis, j’ai deux cultures différentes et je les assume les deux.
Y a-t-il des anecdotes qui vous ont marqué ou vous ont surpris depuis que vous découvrez le football africain ?
Lors de mon premier voyage, lorsque nous devions partir en Angola pour la CAN 2010. Nous avions rendez-vous à 6h00 du matin dans le hall de l’hôtel pour aller à l’aéroport. Moi qui aime bien être à l’heure, je descends tout content à 5h45. Personne dans le hall. 6h00, personne… 6h10, 6h15… Le temps passe, toujours personne. On était deux dans le hall ! On commence à chercher : tout le monde était encore en train de dormir. Du coup, je retourne dans ma chambre, mais je redescends toutes les demi-heures en me disant qu’on va bientôt partir, pour être sûr de ne pas rater le départ. Jamais personne… Au final, on est parti de l’hôtel vers 14h00 ! Bon, il faut reconnaitre qu’aujourd’hui ça va beaucoup mieux, parce que les entraîneurs qui sont passés ont réussi à instaurer une certaine rigueur, mais au début, c’était compliqué.
Une Coupe d’Afrique des Nations, comment la vit-on de l’intérieur quand on n’a pas grandi en Afrique ?
C’était une superbe expérience, déjà parce que c’était une belle compétition. Au niveau de l’organisation, nous étions dans des stades flambant neufs à l’époque, pour jouer contre des grosses équipes, j’ai croisé de grands joueurs. C’est un rêve grandeur nature, et aujourd’hui, ça reste mon plus beau souvenir dans le foot. J’espère pouvoir la revivre un jour en ayant cette fois plus de maturité, en tant qu’homme et que joueur, et pouvoir la vivre pleinement. Parce que là, j’étais encore nouveau, j’étais un peu timide, et je me dis que je n’en ai peut-être pas profité comme j’aurais dû.
Lorsqu’on repense à cette CAN 2010, on est obligé de se rappeler de la fusillade de Cabinda. Comment l’avez-vous vécue sur place ?
En fait, nous avons voyagé au moment de la fusillade, donc nous n’étions pas au courant. Lorsqu’on a atterri, j’ai vu plusieurs appels manqués de mon épouse. Quand je la rappelle, elle me demande, inquiète, comment ça va et m’explique qu’il y a eu cette fusillade. Je l’ai appris comme ça. Une fois qu’on est arrivés à l’hôtel, on en a parlé entre nous pour décider de ce qu’on allait faire. Nous avons pris la décision de rester et de jouer la compétition, mais on ne sortait jamais de l’hôtel, sauf pour aller aux entraînements et aux matches. C’était un climat lourd, c’était compliqué.
Et sur le plan sportif, qu’en retenez-vous après avoir notamment affronté l’Egypte et le Nigeria ?
C’était difficile, mais je joue au foot pour ça, pour rencontrer de grands joueurs et de grandes équipes. Au Nigeria, il y avait John Obi Mikel, Peter Odemwingie, Taye Taiwo. A l’époque, j’avais 21 ou 22 ans, je les regardais avec des yeux grands comme ça, c’était quelque chose de magique. C’est bien de se frotter à des joueurs confirmés. Peut-être que quand on dit Odemwingie, ça ne fait pas forcément rêver, mais ça reste un joueur qui a accompli de très belles choses dans sa carrière. Je l’avais sur mon côté et c’était un sacré morceau. Pour moi ou la sélection en général, c’est bien de pouvoir se frotter à des grands joueurs, ça nous permet d’acquérir énormément d’expérience, c’est enrichissant.
Que manque-t-il au Bénin pour se rapprocher des meilleures sélections africaines ?
On en parle souvent entre nous, joueurs. On a vraiment une bonne ossature, pas mal de joueurs qui jouent dans des bons clubs, en Europe. Mais c’est vrai qu’au pays, il y a toujours des conflits, entre les ministères, la fédération, les entraineurs, etc. Il n’y a pas cette unité au sein de tout le football national par rapport à la sélection. Du coup, c’est compliqué pour nous. Par exemple, on n’a jamais ou très rarement des matches amicaux organisés pendant les trêves internationales. On ne se voit pas, alors qu’on pourrait jouer davantage ensemble, et jouer contre de grandes équipes et acquérir de l’expérience. C’est compliqué de n’être là que pour les matches qui comptent, parce qu’on n’a pas de repères entre nous. Et puis, il y a toujours des problèmes d’organisation, au niveau des primes notamment, ou des billets d’avion. Ça peut paraître des détails, mais au final, ce sont des choses qui sont hyper importantes pour que l’équipe soit dans les meilleures conditions. Parce que quand on va en sélection, on y va pour jouer au foot. Pas pour se prendre la tête avec des problèmes administratifs. Mais aujourd’hui, on a un sélectionneur Oumar Tchomogo qui est un ancien capitaine de la sélection, qui connait très bien le football africain et européen. Il a de l’importance et une voix pour pouvoir nous représenter au niveau de la fédération et du ministère. Aujourd’hui, ça va en s’améliorant. C’est tant mieux parce qu’on a les joueurs qu’il faut pour espérer des jours meilleurs.
La qualification pour la Coupe du Monde 2018, est-elle un objectif réaliste ?
Honnêtement, on en a déjà parlé avec Jordan (Adéoti, son coéquipier à Caen et en sélection). On sait que ça va être très très très compliqué… Mais une partie de nous se dit que c’est possible aussi. Il a de petites équipes africaines qui ont réussi à se qualifier, comme le Togo ou l’Angola en 2006. Ils ont réussi à y aller, donc pourquoi pas nous ? Après, il faut un concours de circonstances favorables. Si jamais on arrive à sortir le Burkina Faso, il faut aussi avoir un bon tirage au sort, et que les gros matches, on arrive à les gagner. Même si les moyens sont limités, au sein du groupe on est quand même ambitieux.
Pour terminer, nous sommes obligés de parler de votre troisième équipe après Caen et la sélection : le FC Twitter dont vous vous considérez comme le meneur de jeu…
C’est vrai, je m’autoproclame meneur de jeu . C’est un outil auquel je me suis bien adapté et que j’apprécie aujourd’hui. Avec deux ou trois joueurs comme Pierre Bouby ou Nicolas Benezet, on arrive à donner une image différente du footballeur. C’est ça que les gens aiment voir : c’est qu’au final, on est des footballeurs, mais on est des mecs comme les autres, on regarde le foot comme les autres, on rêve des stars comme les autres, et on en rigole comme les autres ! On n’est pas forcément tous dans le cliché du footballeur qui ne pense qu’à lui, qu’à s’acheter de belles montres et de belles voitures. C’est pour ça que je me sers de Twitter : pour rigoler, pour faire de nouvelles connaissances, et pour donner une image plus cool du footballeur.
Est-ce important de garder le sens de l’humour, de l’autodérision, et de garder un regard décalé sur le football ?
C’est mon éducation qui veut ça. Je pense que j’ai été très bien éduqué. Avec mes parents, ce n’était pas « le foot et rien d’autre ». Quand j’ai grandi, mes parents m’ont ouvert à tout. Il se trouve que j’ai choisi le foot parce que les circonstances m’étaient favorables. Mais j’ai fait de la musique, j’ai fait de la guitare pendant des années, j’ai un Bac S, j’ai fait des études. Aujourd’hui, je suis ouvert à plein de choses, et j’essaie justement de ne pas me refermer que sur le foot. J’essaie de m’instruire, de m’ouvrir au monde, de savoir ce qui se passe ailleurs. Et je n’ai pas de mal à rigoler de moi-même.
Alors, d’après vos tweets après votre premier but, vous voilà meilleur que Messi et Ronaldo réunis, mais pour les célébrations, moins bon que Henry pour les glissades…
Meilleur buteur en Ligue 1 que Messi et Ronaldo ! Mais pour le Ballon d’Or, ça va être difficilement réalisable. Ballon d’Or de Twitter, peut-être ? La glissade, on en avait parlé avant le match : qu’est-ce qu’on fait si on marque ? J’ai dit : « Je ferai une glissade, en plus le terrain est mouillé, ça va être super ». Mais il y avait des petits graviers, et je n’imaginais pas que ça allait faire mal comme ça. J’ai réalisé dix minutes après quand j’ai vu mes genoux en sang. Je penserai à une autre célébration pour mon prochain but. Dans deux ans !
Source : Fifa.com